InTerreCo pose un regard neuf sur les hauts lieux touristiques du monde. Les membres du collectif ambitionnent de questionner leurs impacts sur les territoires qui les hébergent, en termes d’attractivité et d’identité culturelle, voire de retombées socio-économiques et environnementales. Eu égard à cette ambition, quoi de mieux que d’étudier les 7 Merveilles du Monde Moderne sur une série de 7 articles ?! Fidèle à notre ligne directrice sur les « territoires interconnectés », nous vous amenons à ouvrir une nouvelle fenêtre sur les beautés du monde à travers les 5 continents. La première étape de ce périple vous conduit à la découverte de la merveille phare de l’Inde : le Taj Mahal !

Jadis, les Grecs furent à l’origine de la création d’une liste regroupant 7 Merveilles du Monde, présentes initialement aux alentours de la méditerranée Orientale. Elles furent pour eux, considérées comme une ode à la beauté ainsi qu’à la culture qui leur avait donnée vie (Barbier, 1995). Néanmoins, au fil des siècles, 6 de ces 7 Merveilles du monde Antique disparurent, ne laissant plus que l’unique possibilité d’admirer l’ultime survivante : la Pyramide de Khéops, en Égypte. Face à cela, ont été nommé au cours de l’année 2007, 7 nouvelles « Merveilles du Monde » des temps Modernes1, incluant le Taj Mahal.

Un patrimoine national aux valeurs universelles 

En 1983, le Taj Mahal, aussi appelé “Palais de la Couronne” en Perse, rejoint la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO. Cette dernière a pour ambition de préserver un monument aux valeurs universelles et uniques. Cette inscription va ainsi représenter un véritable enjeu économique pour le territoire indien, devenant un vecteur de visibilité internationale. Grâce à cela, le “monument de l’amour” comme le surnomme les locaux, voit sa notoriété franchir les frontières du pays. Il devient par la même occasion un véritable outil de développement territoriale, dynamisant de nombreux domaines annexes tels que le commerce, l’urbanisme, etc.

Cette visibilité internationale va s’accroître encore plus en 2007 avec l’organisation d’un vote prestigieux à l’échelle planétaire. En effet, la New Seven Wonder Foundation a soumis au vote du public une liste de 21 sites et bâtiments présents à travers les 5 continents. C’est ainsi que ce joyau Indo-Islamique fut érigé au rang de l’une des 7 merveilles du monde Moderne. Véritable symbole de richesse et d’ingéniosité, sa singularité repose sur la rencontre entre le style architectural ottoman, islamique, iranien et indien. Ce chef-d’œuvre se voit ainsi doté d’une puissance culturelle sans pareille, semblable à nul autre.

 

Une ode à l’amour éternel 

Le Taj Mahal se situe au sein de la ville d’Agra (dans l’État de l’Uttar Pradesh), au bord de la rivière Yumanâ, affluent du Gange. Ce dernier est considéré dans la religion hindoue comme le purificateur des âmes. C’est ainsi qu’entre 1632 et 1648, le mausolée fut construit sous les ordres de l’empereur Moghol, Shah Jahan, à la mémoire de celle que l’on surnommait la “Merveille du Palais”, Mumtâz Mahal. Elle fut sa troisième femme mais perdit la vie en mettant au monde son 14ᵉ enfant. Lui vouant un amour inconditionnel, il décida de lui construire une tombe où elle pourrait reposer en paix éternellement.

Image N°8

Une merveille d’architecture aux innombrables symboles

Par la construction de ce monument d’exception, l’empereur Shah Jahan aspirait à faire du Taj Mahal la plus proche représentation du paradis sur Terre. C’est pourquoi, afin d’en faire le chef-d’œuvre architectural actuel, il vit les choses en grands : il fit appel à 9 des meilleurs architectes de l’époque, venu des 4 coins du monde et à plus de 20 000 ouvriers qui travaillèrent sur ce projet de grande envergure. Des matériaux provenant de toutes les régions de l’Inde et du reste du continent asiatique furent utilisés. Plus d’une vingtaine de pierres ornementales et fines vinrent composer le monument et y furent incrustées.

Vêtu entièrement de marbre blanc, il est le symbole de la lumière et des édifices de perles présentes au Paradis dans le Coran. Quel que soit le moment au cours de la journée, le monument se révèle comme une perle de lumière. De plus, la couleur blanche renvoie à l’amour pur que portait l’empereur à sa femme. Le complexe, d’une taille vertigineuse, est organisé en trois grandes parties : La première est la cour intérieure, appelée également Jilaukhana (« Porche de maison »). Elle est assimilable à une antichambre faisant allusion au passage entre le monde terrestre (la vie séculière) représenté par la ville et le Paradis sur terre (la vie spirituelle) évoqué par les jardins. Ces derniers, d’ailleurs, constituent la seconde grande partie du site.  Également appelés Chahar Bagh, ils représentent le Paradis, où là, y règne la perfection. Cette partie est divisée en 4 sous-parties, elles-mêmes segmentées en 4 autres par le même nombre de plans d’eau. Le chiffre 4 est omniprésent dans la conception architecturale du site : il fait allusion aux 4 rivières du Paradis évoquées dans la religion islamique. Pour finir, la troisième grande partie est celle qui revêt un aspect porté sur le sacré, se composant du mausolée blanc, de la mosquée ainsi que du pavillon destiné aux invités, appelé Jawab, réplique parfaite de la seconde.

À l’époque déjà, le Taj Mahal était d’une grande ambition, symbole d’une volonté de surpasser les merveilles du monde qui préexistaient avant sa construction. Son architecture, poussée à la perfection dans son exactitude et sa symétrie, contribua à le rendre célèbre au fil des siècles.

Vidéo 1 

Un atout au service du rayonnement culturel de l’Inde

L’acquisition du sceau de l’UNESCO a une véritable portée au niveau touristique et culturelle (Barbier, 1995). Aujourd’hui, les pays du monde entier, dont l’Inde, cherchent à préserver les manifestations visibles de leur héritage passé. Ainsi, ce label constitue un moyen de lutter contre la disparition de leur édifie au cours du temps. Lorsqu’un pays inscrit un monument sur cette liste, cela contribue à satisfaire à leur fierté nationale et devient un argument touristique de poids (Barbier 1995).  Aujourd’hui, la gestion du Taj Mahal est sous l’autorité de l’Archaeological Survey of India. Néanmoins, au vu de son inscription au sein de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, l’Inde se doit de parvenir à atteindre un certain nombre d’objectifs définis par la commission. Ces derniers ont pour fin de protéger le monument qui fait dès lors partie intégrante du patrimoine mondial de l’humanité et non plus d’un seul et unique pays (Barbier, 1995).

Tous les moyens sont mis en œuvre afin de préserver ce monument. Des centaines de milliers de dollars ont ainsi été dépensés par l’Inde afin de procéder à sa protection et à sa préservation. Afin de rassembler les ressources nécessaires, le tourisme est systématiquement promu. Il va également avoir pour conséquence de dynamiser l’activité locale. C’est ainsi qu’en 2002, la première campagne touristique dite offensive « Incrédible India ! » fut développée afin d’établir toute une stratégie de marque autour de l’Inde (Goreau-Ponceaud, 2019). Ces campagnes sont un moyen pour le gouvernement Indien de véhiculer les représentations et les perceptions de ce patrimoine qu’est le Taj Mahal par la création de récits nationaux, approuvés par l’industrie du tourisme puis diffusés par les médias nationaux (Goreau-Ponceaud, 2019).

Chaque année, ce monument historique attire des millions de visiteurs, dont 90 % sont des touristes locaux. Rien qu’en 2019, c’est 10 millions de touristes qui sont venus admirer ce monument magistral. Le tourisme domestique est un véritable moteur du secteur touristique en Inde. Le Taj Mahal fait partie du “Triangle d’Or”, composé de la ville d’Agra, de Delhi et de Jaipur. Ce dernier est inclus dans la plupart des circuits touristiques proposés par les agences indiennes. Ici, sont valorisés le passé, la culture mystique et ancienne et la religion (Goreau-Ponceaud, 2019). Pour de nombreux auteurs, le tourisme culturel apparaît comme une solution pour “sauver le mode” au sens propre comme au figuré. De plus, il  offre à la communauté locale l’opportunité de contrôler son propre développement ainsi que de s’en approprier les nombreuses retombées (Marcotte & Bourdeau, 2010). Par conséquent,  la ville d’Agra voit aujourd’hui son économie se développer grâce au tourisme mais aussi à l’industrie, notamment le forgeage et la fonderie (Singh, Sharma, 2012).

Le Taj Mahal est devenu au fil du temps l’objet d’un marketing territorial, mettant en lumière son unicité architecturale ainsi que l’esthétisme des lieux. La reconnaissance de ce site au niveau national et international a ainsi favorisé l’accroissement de sa valeur au niveau économique mais également esthétique (Marcotte, Bourdeau, 2010).

Un monument sujet à de nombreuses menaces…

Le Taj Mahal a réussi l’exploit d’accélérer le rayonnement territorial de l’Inde aux niveaux national et international, notamment grâce au tourisme qui a généré de nombreux bénéfices économiques pour le pays. Toutefois, comme le disent les auteurs Marcotte et Bourdeau (2010),  “ce qui est bon pour le tourisme, est rarement bon pour la conservation et ce qui est bon pour la conservation, l’est rarement pour le tourisme.” Ainsi, voilà les enjeux auxquelles sont confrontés le pays : malgré un apport non négligeable à la société indienne, le Taj Mahal subit les contre-coups des politiques d’urbanisation et touristiques du pays, accélérant son déclin. Par conséquent, ce chef-d’œuvre de l’art Indo-Islamique est en proie à de nombreuses menaces telles que la pollution de l’air ou encore le tourisme de masse. 

La pollution

De nos jours, le monde est en proie à une crise environnementale sans précédent, causée par une pollution de l’air qui est due au développement fulgurant du processus d’industrialisation et d’urbanisation, du secteur automobile et à une croissance démographique et économique (Singh, R., & Sharma, B. S, 2011). Les Indiens sont fortement concernés par ce phénomène et subissent une détérioration de la qualité de leur air, provenant des aérosols, de l’automobile ou encore de l’industrie. (Singh, R., & Sharma, B. S, 2011). Ce phénomène a d’importantes conséquences sur les hommes, les végétaux, mais également les monuments comme le Taj Mahal qui n’est pas épargné. Depuis plusieurs années déjà, les marques de cette pollution sont de plus en plus visibles : on assiste à un jaunissement du marbre blanc, nécessitant une intervention des conservateurs qui appliquent fréquemment des couches de boues, favorisant l’absorption des impuretés. 

Le tourisme de masse

Le tourisme de masse a essentiellement pour conséquence de détériorer les monuments à fort taux de visites. Le Taj Mahal s’est ainsi vu envahir par des millions de visiteurs qui piétinent quotidiennement un sol inadapté à supporter une telle charge (Bastenier, 2006). Ce tourisme a également amené à folkloriser les identités ainsi qu’à commercialiser des traditions, qui sont pour la plupart factices, mais qui restent vendables à ces « envahisseurs » capables de payer (Bastenier, 2006). Malgré ces aspects très peu reluisants du tourisme, l’Inde aurait du mal à se passer d’une telle manne financière. Ce phénomène est une source de recettes vitales pour de nombreux pays du Sud, dont l’Inde. 

… Mais plus que jamais au cœur des préoccupations

Afin de prévenir le déclin du monument et d’en préserver son aspect originel, les autorités indiennes ont tenté de prendre des mesures.  Des normes anti-pollutions ont été ainsi imposées aux usines présentes au sein de la ville d’Agra. Toutefois, elles viennent se heurter aux problèmes économiques déjà existants. Le trafic routier se voit limiter à un périmètre de 500 m et une obligation est faite aux usines implantées dans un rayon de 20 kilomètres de passer au gaz naturel ou de fermer.

Une politique commerciale à également été menée afin de réduire le nombre de visites sur le site en pratiquant une tarification différenciée  selon la provenance du visiteur et en limitant les heures de visite. Ces décisions ont permis de limiter les dépassements de seuil de saturation du site touristique d’envergure qu’est le Taj Mahal. En effet, le nombre de touristes quotidien a diminué de près de la moitié passant de 70 000 à 40 000 visiteurs. Il est aujourd’hui également nécessaire de revêtir des chaussons au cours de la visite du mausolée  afin de conserver au mieux le site. 

Ce joyau de l’art Indo-Islamique a su laisser son empreinte dans l’histoire et marquer les esprits par ses prouesses architecturales fascinantes, sa beauté, son histoire mais également sa richesse culturelle, le rendant unique. Il a su conserver toute sa splendeur originelle à travers les siècles, ne subissant que peu les ravages du temps. Néanmoins, il est aujourd’hui sujet à de nombreuses menaces qui sont la conséquence de politiques contemporaines. Au regard des enjeux liés à la préservation de ce monument, l’Inde se doit de s’engager dans une logique de développement durable à l’image du Réseau des Grands Sites de France (RGSF).  

1 La Grande Muraille de Chine, Pétra en Jordanie, La Statue du Christ rédempteur à Rio de Janeiro, Le Machu Picchu, Le site archéologique de Chichén Itzá au Mexique, Le Colisée de Rome et le Taj Mahal.

Bibliographie

  • Barbier, B. (1995). Patrimoine, Patrimoine Mondial (UNESCO) et tourisme.
  • Bastenier, A. (2006). Le tourisme, utopie contemporaine. La revue nouvelle, (1-2), 17-21.
  • Goreau-Ponceaud, A. (2019). Colonialité et tourisme: la fabrique des identités et des altérités en Inde. Via. Tourism Review, (16).
  • Marcotte, P. & Bourdeau, L. (2010). La promotion des sites du Patrimoine mondial de l’UNESCO : compatible avec le développement durable ?. Management & Avenir, 34(4), 270-288. doi:10.3917/mav.034.0270.
  • Singh, R. et Sharma, BS (2012). Composition, variation saisonnière et sources de PM 10 du site du patrimoine mondial Taj Mahal, Agra. Surveillance et évaluation de l’environnement , 184 (10), 5945-5956.

(4 commentaires)

  1. Bravo pour ce travail , qui permet de bien comprendre le sens originel de ce monument , celui de l’ amour inconditionnel . Touchée également par les menaces pesant sur ce joyau , dues aux comportements inconscients ….. Mais heureseument pour nous, les défenseurs du beau , du sens , du sens et des messages originaux culturels , et religieux font un travail titanesque pour préserver les joyaux et les fondements de l ‘humanité . Merci

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    1. Bonjour Hamon,
      Nous vous remercions pour l’intérêt porté à notre article de blog et sommes ravis que cela puisse participer à votre compréhension de ce joyau mondial.
      Tout à fait, l’objectif de nos articles est aussi de sensibiliser sur la nécessité de préserver ces lieux et d’intégrer leur politique de gestion au cœur du projet des territoires qui les hébergent.
      Au plaisir de vous relire très prochainement sur notre blog qui reprend du service très bientôt,
      Koffi Selom – du blog InTerreCo.

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